Un rêve inaccessible



Bien que « garçon manqué » dans l’âme, je suis une fille coquette comme toutes celles de mon âge!


Et en 1964, « Mademoiselle Age tendre » la petite sœur de « Salut les copains » a vu le jour pour le bonheur des jeunes adolescentes comme moi qui voulaient être dans le vent, suivant la mode de près.


Il est vrai que je me préoccupais pas mal de ma tenue vestimentaire à l’époque.


Et je voulais être comme une figure de mode au CF avec une jupe plissée.


Répondant à mes désirs, ma mère m’a emmenée chez une couturière, Anna qui avait son atelier de confection sur mesure pas loin du cinéma Tân Quang, si je me souviens bien.


Elle a acheté d’avance quelques mètres de tissus de coton à Chợ Đầm, selon ses goûts pour les couleurs et motifs.


Ma collection se montait à trois chemises à manches courtes et trois jupes simples coupées en biais que je pourrais assortir à ma guise toute l’année scolaire et une paire de souliers de chez Bata. En complément, ma mère me repassait quelques vêtements de ma grande sœur, – une différence de taille, étant donné nos quelques années d’écart – des fringues un peu amples pour moi donc.


Cette dame « Anna » ne serait point ma styliste si je devais faire mon choix. Les habits étaient taillés fort simples, sans compter que le tissu pur coton (de la popeline en ce temps-là) avait la fâcheuse habitude de rétrécir après lavage et séchage au soleil et du coup devenus trop justes pour une gamine qui était en pleine croissance comme moi.


Aux repas, avec un grand appétit, trois bols de riz comme ration ordinaire, sans parler du goûter, de notre délicieux entremet « chè ».


Je me retrouvais bien vite engoncée dans ces vêtements serrés. Je savais pertinemment qu’Anna avait fait exprès pour récupérer du tissu à un usage ultérieur à son profit. Devinez, sa vitrine se faisait plus importante chaque jour avec des petites robes d’enfants, des pantalons pour garçonnets, des habits pour nouveau-nés, un mélange de couleurs et de tissus fort attrayant. Les clients lui permettaient de récolter pas mal ainsi, des chutes de tissus, assez pour en confectionner d’autres.


J’étais consciente de mon « look » - par manque de style, trop moche à cause d’Anna – et je rêvais d’avoir une jupe plissée.


Une copine de ma classe, MC allait en classe chaque matin habillée avec élégance, étant très à la mode!  Elle changeait souvent de jupes plissées, de différents style et couleurs. Je regardais ses beaux habits avec envie: Elle était mignonne avec les cheveux bien coiffés, sa peau blanche et surtout, elle était toujours la première au classement. 


Ainsi chaque matin, quand MC arriva en classe, debout à côté d’elle, je l'admirais, de la tête aux pieds.


Ses souliers étaient à la mode, impeccables, et il me semblait qu'elle en possédait plusieurs paires tandis que moi, je devais me contenter d’une seule.


A mon avis  MC était la seule, la plus élégante, son "look" la distinguait des autres filles.


Un garçon de ma classe  était fou amoureux d'elle - encore un autre admirateur - ce que tous les élèves avaient bien remarqué.


J'ai rêvé porter une jupe plissée comme ma copine MC et les filles  dans « Salut les Copains, Mlle Age Tendre »  .... j'ai beau supplié ma mère à chaque voyage qu’elle faisait à Sai Gon de m’en ramener une, mais déception totale à chaque retour, ma jupe manquait tout le temps dans sa liste d’achats!


A l'école, on repérait certaines filles, celles qui étaient les mieux habillées.  On ne voyait pas autant de jupes plissées, sauf si vous aviez des parents qui étaient prêts à débourser dans les boutiques chics à Saigon. Les plis des jupes étaient des plis morts, pressés à la machine donc indéformables. Quant aux tissus, invariablement c’était du Prince de Galles ou des motifs écossais « les Tartans » avec une épingle ou sans sur la jupe.


La mode évolua vite et on voyait débarquer au CF des jeunes filles en mini jupes, dévoilant leurs jambes fines. D’autres grandes et minces, aux cheveux longs comme Françoise Hardy … Bien présente dans notre petite ville la tendance de la mode yé yé, rien à envier la capitale Sai Gon ou autres grandes villes du monde entier.


Quel boulot en perspective pour notre surveillant général, Mr Mariadassou qui posté à l’entrée de l’école devait apprécier les tenues des demoiselles, en pointant du doigt « Mademoiselle, rallongez votre jupe! » - Une remontrance restée sans effet d’ailleurs, la mini jupe court toujours …


Quelque temps après, en aidant ma mère dans sa boutique, j’aurais pu m’offrir une jupe plissée grâce à quelques sous détournés de son tiroir caisse. Hélas, la mode a changé, plus personne en jupe plissée.


Et ma jupe plissée depuis, reste toujours un rêve inaccessible. Ah, c’est ça la mode!


Lê Thị Lam Sơn



© cfnt, Collège Français de Nha Trang