À propos d'une copine de classe



...


- « Tu l’as lu? »

- « Bah! »

- « Mais tu l’as vraiment lu? » 

- « Eh oui! »

- « Alors dis-moi ce que j’ai écrit! »

- « Et bah, tu écrivais de quand tu étais petite et allais chez Mme Toại »

- « J’ai jamais écrit d’être chez Mme Toại »

- « Alors j’avais sûrement lu un différent article sur le site Collège Français de NhaTrang avec Mme Toại »

- « Il n’y-a aucun article sur le site Collège Français de NhaTrang avec Mme Toại. Et la prochaine fois, essaie de mentir mieux! »


...


Voilà un petit extrait de la discussion que Tr.T. et moi on a eu hier soir au téléphone. C’était à propos d’un article qu’elle a publié sur le site et qu’elle a ensuite envoyé à chacun de nous. 


Sans mentir, je vous jure que je l’ai lu. La première ligne. C’est la raison pour laquelle je ne pouvais pas être trop précis pendant l’interrogatoire. Je me promets à moi-même de le lire ce soir. Tout entier cette fois. J’aime énormément Tr.T. mais je suis de nature paresseuse. En plus ce côté de moi a beaucoup progressé vers le bas depuis que j’étais à la retraite. Les seuls bouquins que je lis depuis quelques mois ne concernent que les chiens et les chats. L’autre bouquin c’était sur un gars qui avait ramassé un coup de foudre pendant un orage et s’était allumé comme une ampoule électrique. 


Je commençais à avoir une vague idée de Tr.T. quelque part en classe second. Je ne savais pas pourquoi mais je revoyais toujours la même photo. Troisième rangée depuis la porte d’entrée, première table: H. con, à côté c’était moi. Derrière le dos à H. à la deuxième table, il-y-avait Tr.T. à côté d'elle c’était Th.T. Et le prof c’était toujours le même. Puisque je ne me souviens pas du nom ni la matière qu’il enseignait, je vais essayer de le décrire ici. Taille moyenne, cheveux couleur châtaigne coiffés vers l’arrière laissant voir un large front. De temps en temps ses mèches tombaient devant les yeux et avec un haussement de tête vers arrière il les remettait en place. Lunettes avec cercles couleur foncée, chemise blanc à manches courtes portée en dehors des pantalons foncés. Mais ce qui est particulier chez lui c’était sa barbiche. Pas aussi sombre que celle de Larguier ou William Manzanò et qui lui conférait un air sérieux. Un jour, vers la fin de sa leçon, quand il restait juste une poignée de secondes avant que la sonnerie retentissait, j’avais fait un petit signe à H. con, qui avait une montre, pour demander l’heure. Eh bien, le prof l'avait remarqué. S’arrêtant au milieu de la leçon, il portait son poignet devant ses yeux, regardait sa montre et me fixant des yeux me donnait l’heure: «C’est midi moins deux, MONSIEUR!». S’il-y-avait un trou sous mon banc, je jure que j’y serais enfoncé pour me cacher. Je me souvenais encore du regard de H. con donc l'expression était un mixte de pitié et de reproche...


Lorsque j’étais parti du Collège Français de NhaTrang en 1969-70, je ne savais pas que j’allais revoir Tr.T. seulement des années plus tard. T.D qui était en France depuis qu’il avait quitté le Việt Nam vers fin 1972, me disait qu’elle s’était échappée du Việt Nam en bateau et qu’elle se trouvait maintenant en Aix-en-Provence. J’oubliais dans quelle année cela s'était passé ni comment elle avait pu contacter T.D ensuite. Peut-être par voie de sa sœur qui vivait depuis longtemps à Paris mais je n'étais pas sûr. Suite à cet événement, J’avais pu rendre visite à Tr.T. quelques fois à Aix-en-Provence et ensuite à Paris. Maintenant c'est différent mais à l’époque j’étais seul et voyager était vraiment très simple. On décidait et on partait. Un sac a dos, une brosse à dents, un sac de couchage et hop! on saute sur le premier train disponible et on est loin. 


Toutes ces fois et à travers des années j’avais remarqué avec émerveillement que Tr.T. n’avait presque jamais changé avec le temps. Toujours d’une grande simplicité, presque jamais maquillée, et prête à rire à la moindre occasion. Le temps semblait se figer pour elle. Pas une ride sur son doux visage. C’est une amie merveilleuse et je l’aime énormément. 


Tr.T. m’avait aussi rendu visite quand j’étais en Italie. Pour cela, on avait organisé ensemble quelques jours de vacances à la mer tout près de Venezia. On dormait dans une tente minuscule où on avait placé deux chaises longues du type qu’on voyait à la plage sous les parasols. Chaque soir avant de dormir j’avais la tâche de contrôler si la tente était bien fermée. Tr.T. avait terreur des lézards, des crabes, des lions, des ours qui pullulaient dans le coin. Même des trous dans la tente de un cm2 devaient être bouchés avec du papier pour empêcher aux mauvais esprits de s’y introduire pendant le sommeil. 


Pendant ce particulier séjour, je l’avais invitée une fois à dîner dans un restaurant connu pour ses plats de poisson. On avait mangé des pâtes noires à la seiche, régalé avec des poissons, des crevettes grillées, le tout arrosé de vin blanc de la région. À un certain point de la soirée, elle se figeait un bref moment, me demandait gracieusement où se trouvait la toilette. Sur mes indications elle se mettait debout et partait. Après une dizaine de minutes, sans la voir revenir, je commençais à me demander si elle n'avait pas pris la décision de rentrer à Milano sans moi. Pendant que je repassais la journée pour vérifier si j'avais fait ou dit quelques choses de 'mauvaises', quelqu’un m'appelait. C’était la patronne du restaurant. Elle me demandait de la suivre aux toilettes, ce que je faisais sans hésitation (J’aime les aventures galantes aux toilettes!). Là dans une lumière vague, couchée par terre sur un sol humide, yeux fermés et inconsciente gisait Tr.T. dans sa robe blanche. Selon la patronne, elle s’était tout simplement évanouie. Avait elle tapé sa tête contre quelques choses pendant sa chute ou pas, même aujourd’hui je l’ignore. Pour essayer de la réveiller, la patronne lui assenait des belles claquettes aux joues. Je voyais encore la tête de Tr.T. aller à gauche et à droite suivant la direction d’où venait la claquette. Quelques minutes s’en suivaient avant que Tr.T. ouvrait ses yeux et me souriait. Puis lentement elle se redressait et me demandait d'une voix hésitante de l’accompagner à la toilette. Tenue par moi à niveau de son ventre, se pliant en deux sur le bidet, elle avait commencé à me rendre tous les olives, les poissons, les calamars, les crevettes, inclus les 3 verres de vin blanc et les 2 verres d'eau gazeuse qu’elle avait eu avant. Elle avait vomi pendant longtemps. Lorsqu’elle avait fini, elle était redevenue presque normale et appuyée sur moi on rentrait ensemble titubant à notre table. Je me souvenais d’avoir offert de la porter sur mon dos depuis le restaurant jusqu’à la voiture mais elle avait refusé.


Si je devais cependant la taquiner pour l'amuser un peu c’est que, tout comme moi, elle avait tendance à vivre trop dans ses beaux rêves. Quand on était jeune, notre monde était surpeuplé de fées, princes et princesses. Vous savez comment elle avait nommé sa fille? Alice! Je suis sûr que si Alice devait avoir un frère il serait Peter (Pan). Et lorsque ces rêves se trouvent confrontées à la dure réalité, elles font l’effet d’un ballon d’air sur-gonflé qui fait psss…J’étais content d’être avec elle lors d’un de ces événements quand son prince, longtemps fantasmé, se révélait...pas à la hauteur! Et je suis sûr qu’elle était avec moi avec son cœur lorsque ma belle princesse s’était envolée …


Trương Minh Kiên



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