Un béguin de la Septième



On était alors en 7è Spéciale.


Je n'ai jamais oublié ce prénommé TH (ou H tout court), le maigrichon assis vers le fond de ma classe.

Aux grands yeux ronds, comme dans mes souvenirs. Un peu timide. Avec un léger sourire aux lèvres. Toujours vêtu d'un short. À son grand désavantage d'ailleurs, car froissé la plupart du temps, raccourci à cause des plis, remontant et dévoilant ainsi ses maigres jambes.


Il était la bête noire de Mme Fredon, notre maîtresse. Souvent envoyé chez le Surveillant Général avec un Billet de mécontentement au lieu de satisfaction.


J'étais déjà une mauvaise élève en classe. Mais lui : Pire que moi encore !!!


Un jour, ma mère m'a emmenée à Xóm Mới, près de la gare routière, celle des autocars. Et qui ai-je vu là ? Mon camarade de classe en personne. Ma mère et la sienne étaient copines. Voilà la surprise !


Obéissant aux ordres de sa mère, il a été chercher quelques biscuits pour l'invitée. A son retour, il m'a tendu sans un mot un petit sac. C'était curieux : On se voyait tous les jours à l'école, mais ma timidité m'a empêchée de me servir librement des friandises offertes et de bavarder un peu. Mon hôte, guère mieux, muet lui aussi : il était le petit maître des lieux pourtant.


A chacune de ses régulières convocations chez le Surveillant, je me retournais pour le regarder.

Mes yeux fixés sur les siens, son bref regard en échange alors, avant de baisser sa tête.

Témoignage d'amitié et de pitié sans doute à son égard ou envie de partager cette sévère punition de Mme Fredon avec lui.


Un jour, ma copine MC m'a appris qu'elle a reçu un cadeau de TH : un album de timbres. Elle me l'a montré et j'ai eu le plaisir d'admirer la collection de plus près, feuilletant chaque page, très impressionnée par la générosité du garçon et par son culot en même temps.

Après les cours, je le retrouvais chez ma copine, au salon.

Fou amoureux d'elle et ça se voyait sur son visage.


En classe, il recevait toujours des avertissements pour mauvaise tenue de cahiers, écriture en pattes de mouche (viết như gà bới) abhorrée par Mme Fredon, d'où pages déchirées, à tout recopier avec plus de soin.


Pauvre garçon qui s'imaginait avoir une chance, lui, le dernier de la classe avec MC, une des meilleures élèves. En plus, une fille toujours bien habillée. D'une élégance et d'un chic incomparable, par rapport à lui, si ringard avec des culottes trop courtes pour ses jambes.


Il me rappelait TA, une grande fille aux longues jambes, tout aussi maigre. Une redoublante qui avait de bonnes notes.


Ce n'est que plus tard que j'ai appris par MC qu'à cause de son assiduité auprès d'elle que son père a refusé tout cadeau de sa part.


Dans ma tête, en toute innocence, j'ai pensé que si l'Autre ne voulait pas de son album de timbres, il ne saurait quoi faire avec. Et vu nos intimes rapports familiaux, je me considérais plus proche de lui que MC.

Devant ma demande si directe, cet imbécile m'a toisée sans dire un seul mot.

Cette expression si étrange alors : Il devait se dire "Mais à quoi tu penses, ma fille ! Pourquoi devrais-je te l'offrir quand c'était destiné à la fille dont j'étais amoureux !!!

Pour me l'avoir réclamé sans vergogne de cette façon, elle devait avoir un sentiment quelconque pour moi !"


Voilà donc l'histoire de la fameuse collection de timbres de DTH.


Il faut reconnaître qu'il avait bon goût en choisissant la fille la plus chic comme l'élue de son coeur : MC, son béguin pendant l'année scolaire de 7è Spéciale.


Lê Thị Lam Sơn




© cfnt, Collège Français de Nha Trang